冓, revu ces derniers jours, a une place dans une bonne dizaine de caractères.
Rencontre et alliance
Nous avions expliqué qu’il vient de graphies évoquant la rencontre de deux poissons (voir ici). Cette notion de rencontre se retrouve dans deux caractères : 媾 gòu alliance, s’unir et 遘 gòu rencontrer de façon inattendue.
冓/勾
冓 est simplifié en 勾 dans seulement une petite partie de la brochette d‘écritures. La prononciation de 勾 gōu a certainement motivé le choix. 沟 est l’équivalent simplifié du caractère traditionnel 溝 gōu fossé, 构 de 構 gòu construire et 购 de gòu 購 acheter.
Non simplifiés
Les caractères ci-dessous n’ont pas connu la simplification : 鞲 = 韝 gōu -manchette de cuir ( pour protéger le bras à la chasse au faucon, au tir à l’arc) 簼 = 篝 gōu attelle en bambou pour faire sécher les habits ou corbeille de bambou 耩 jiǎng semer 傋 gòu stupide 搆 gòu tirer / faire glisser / impliquer / atteindre
Pièces de bois entrecroisées
A noter que Xu Shen dans son dictionnaire du IIe siècle Ap. J.-C. avait une autre explication. Alors, il ne connaissait pas les inscriptions oraculaires et ne voyait pas deux poissons, mais il distinguait des pièces de bois entrecroisées et superposées dans la graphie de l’époque .
Quand on regarde les familles de caractères, on peut facilement constater les homophonies, la proximité de la prononciation et un ou des composants communs. L’explication du processus morphologique des caractères est plus complexe. Certes, on peut toujours faire marcher la machine à spéculation qui tire par les cheveux mais elle ne convaincra que ceux qui veulent être convaincus. Regardons une famille avec un caractères très courant.
安 et la stabilité
安 ān est l’un des premiers qu’on apprend. Il est formé d’un toit 宀 et d’une femme 女, qui a donné de nombreux sens : paix / calme / repos / sécurité / sureté / calmer / rassurer / installer / pacifier / poser / être satisfait de / paisible. Cyrille Javary précise qu’« il faudra un jour mettre au point qu’il ne s’agit pas de la “paix”, qui est un concept mais de l’apaisement qui est un sentiment, celui que ressentait jadis, le père, voyant que son fils avait ramené une femme à la maison, gage de la continuité du clan familial ou de l’apaisement du “ciel” voyant que son fils, l’empereur, passant par la porte Tian An Men pour aller au grenier céleste “tian tan” le prier de bien vouloir faire redescendre une fois encore l’influx bénéfique du ciel dans la terre de Chine, etc. » ( mail de l’auteur)
De tenir au banquet en passant par la selle et le bureau
Il est de coutume de regrouper plusieurs caractères qui évoluent dans le champ sémantique de s’asseoir, être assis et siège avec l’idée de stabilité qu’évoque la paix.
按 ( main 手 + 安 ) tenir avec l’idée de stabilité
案 àn (bois 木 + 安) table / bureau
宴 yàn banquet. 妟 àn est l’élément phonétique, il est l’équivalent de 安. 宀 le toit évoque l’image d’un repas dans un bâtiment. Un banquet peut célébrer de nouvelles alliances et donc annoncer la stabilité.
鞍 ān (革 cuir + 安) selle. La selle aide à trouver la stabilité sur le cheval.
燕 yàn sous les Shang, la graphie avait également le sens d’offrir un banquet rituel yan. En raison du son, il est coutume de relier 燕 à ce groupe. Elle signifiait également hirondelle.
Les divers sens des caractères
Pour mémoire, notons la vaste étendue des significations des écritures citées : 按 àn presser / appuyer sur / contenir / contrôler / restreindre / réprimer / tenir qch dans la main / selon / conformément à
案 àn cas / table / bureau / affaire / procès / fichier
卷 juǎn nous permet de revenir aux familles de caractères. 卷 signifie rouler, enrouler, objet enroulé à l’intérieur d’un étui.
Agenouillé
Les premières graphies des Shang montraient une personne agenouillée sur le côté gauche, ce qui lui a donné son premier sens.
Enrouler
La partie à droite montre deux mains qui tiennent un rouleau. La signification d’enrouler à suivi. La transformation vers le caractère moderne a pris forme “évidemment” sous les Han :
Une forme traditionnelle a la clé de main sur le côté 捲.
Poing, courbé, frisé, cercle
Wang Li dans son ouvrage sur les familles de caractères -同源字典- rapproche 卷 de : 拳 quán poing. Le poing n’est pas une main 手 qui s’enroule à l’intérieur ? 鬈 quán bouclé, frisé. Les cheveux frisés s’enroulent. 髟 biāo, la partie supérieure, signifie cheveux. 棬 quān Jarre de forme courbée pour boire de l’alcool. (木 = bois) On peut ajouter :圈 juān entourer;juàn enclos;圈 quān cercle ; 囗 est une enceinte.
皮 pí signifie peau, écorce, cuir, surface, espiègle On retrouve le caractère dans les binômes suivants : 皮肤 pí fū peau 皮革 pí gé cuir 皮鞋 pí xié souliers Il forme un réseau avec les caractères suivants :
被
被 bèi couverture, couette, par. La couverture n’est-elle pas la peau qu’on met la nuit pour se couvrir ? 被 = 衣 vêtement + 皮 peau.
披
披 pī, se draper, mettre sur ses épaules, dérouler 披 = 扌main+ 皮 peau. L’idée reste proche de 被. La main ici aide à couvrir le peau. 披肩 pī jiān châle, cape
J’ai croisé ce matin sur une omoplate de bovin le caractère peu fréquent 湄 méi, qui signifie aube dans le texte lu. J’ai essayé de retrouver le lien avec la famille 目, mù, 眉 méi sourcils, 媚 mèi flatter. Il a fallu passer par plusieurs dictionnaires pour reconstituer le chemin très clair. Le premier sens de 湄 à l’époque Shang, selon Li Xueqin, est rive, bord de l’eau. Comme le cil est au bord de l’œil, la rive est au bord de l’eau (字源, p. 990). Par extension, le caractère a retrouvé le bord du jour et de la nuit avec la signification aube, sens assez courant dans les écritures des Shang. Wang Li, dans son dictionnaire des familles de caractères, inclut 梅 méi bord du toit.
Comprendre les ramifications des caractères, les réseaux qu’ils forment est une clé pour acquérir une connaissance plus profonde de la langue chinoise. L’ouvrage du linguiste Wang Li 王力, 同源字典 Dictionnaire des familles de caractères chinois, dormait dans un carton d’un déménagement chinois. Je vais commencer une série d’articles sur le sujet. Aujourd’hui passons à une simple définition et quelques exemples.
Définition
Les caractères d’une même famille ont un son et un sens proches, ou des sens proches et une signification identique, ou encore des sens proches et le même son. Ils ont tous une même origine. Ils peuvent avoir été créés durant la même période l’un après l’autre. Ils ont dans n’importe quel cas, un même noyau. Le phonologue Laurent Sagart[i] les définit ainsi : « deux mots appartiennent à la même famille lorsque leur sens est proche et leur prononciation identique, à l’exception du type syllabique, et des affixes qu’ils contiennent. Ainsi dans l’exemple ci-dessus 并 *bpeng “combiner, mettre ensemble”, et 駢 *aN-peng “attelage de deux chevaux” appartiennent à la même famille de mots car ils contiennent la même racine *peng (“mettre ensemble”), même si leur type syllabique est différent, et si le second mot contient le préfixe N- ; de même 引 *blin/ et 紖 *blrin/ appartiennent à la même famille de mots car ils ont en commun la racine *lin/ (“tirer”) même si le second a l’infixe -r-. »
Exemples
Regardons quelques exemples donnés par Wang Li. On retrouve 句 dans les sens anciens de caractères désigant les petits d’un animal. 古 est lié à des écritures désignant un manque d’eau et 夬 à une ouverture – voir tableau.
Wang Li ne donne pas d’explication sur la présence de ces composants, il expose simplement. Il est vrai que la langue chinoise, plus on avance, plus les zones d’ombres s’épaississent. Il reste de nombreux points sans explication à moins de partir dans des supputations abracadabrantes pour tout justifier. Ce n’est pas le cas de Wang Li et de ses confrères paléographes, qui appliquent rigueur dans leur démarche tout en reconnaissant les limites des connaissances actuelles. A suivre…
[i] Laurent Sagart. L’emploi des phonétiques dans l’écriture chinoise. F. Bottéro et R. Djamouri. Ecriture chinoise/Données, usages et représentations, Centre de Recherches Linguistiques sur l’Asie Orientale, pp.35-53, 2006, Collection des Cahiers de Linguistique Asie Orientale. halshs-00103227 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00103227/document