Le caractère 礼/禮 lǐ est certainement une clé pour comprendre la Chine d’hier et d’aujourd’hui. Il signifie rite et aussi cérémonie, cadeau, présent et semaine. Sa première signification nous intéresse aujourd’hui.
Regardons le caractère traditionnel 禮. A l’origine, 豊 était seul. Les premières graphies montraient un tambour pour les cérémonies avec deux morceaux de jade à l’intérieur. Par la suite, le caractère a pris le sens de vase cérémoniel.
礻a été ajouté pour renforcer la signification. 礻shì avait pour premier sens tablette ancestrale. Le rite peut être défini comme un mécanisme qui assure l’ordre social et régit les rapports sociaux tout en définissant des modèles de comportement. Il met les sujets en ordre avec le mouvement de la vie et les incite à une conduite juste. Le rite a toujours eu la priorité sur le droit, voir la conférence de Léon Vandermeersch sur le sujet. Les notions de face, les comportements, les relations sociales, les pratiques et l’application du droit ou d’un contrat de nos jours se comprennent mieux avec cet éclairage. Pour comprendre la Chine d’aujourd’hui, il faut connaître la Chine d’hier.
Fin Janvier, dans les bureaux de Washington, le champagne commençait à célébrer la catastrophe chinoise et le retard à l’allumage des autorités sanitaires. D’autant plus qu’on se doutait bien que ce n’étaient pas 104 cas de Covid et les 3 morts annoncés à Wuhan le 22 janvier par la Commission de la Santé du Hubei qui motivaient le lendemain la fermeture de la ville de Wuhan de plus de 11 millions d’habitants. Plutôt une hécatombe ! Mais la roue a tourné, le virus venu, l’Occident a affiché, en majorité, une impréparation et une désastreuse gestion. La Chine, elle de son côté, a plutôt bien géré par la suite. Il n’en fallait pas plus aux quelques aboyeurs des médias officiels pour prôner l’adoption du modèle sanitaire chinois. L’inénarrable Global Times dès fin mars, enjoignait les autres pays de suivre le modèle chinois, le seul modèle qui a montré un succès dans la lutte contre le Covid. L’appel convainquait ceux qui voulaient être convaincus. Il suffisait de regarder les voisins asiatiques, Corée, Japon, Taïwan et le Vietnam, pour voir que d’autres systèmes empêchaient la catastrophe. Fort de la victoire contre l’épidémie, les mêmes milieux en profitaient pour revenir sur le terrain plus politique pour célébrer la grandeur du modèle politique, le modèle chinois. Il est intéressant de se pencher sur ce prétendu modèle chinois et de se débarrasser des imprécations politiques dans les médias officiels ou les invectives contre l’Occident pour rameuter les troupes, même si ça remonte au Président de la Cour Suprême qui enjoint à ses ouailles de« tracer une ligne de démarcation avec la séparation des pouvoirs, l’indépendance judiciaire et d’autres idées erronées occidentales 要坚决与“三权分立”“司法独立”等西方错误思潮划清界线. De nombreux intellectuels de tout bord ont tenté une réflexion sur le chemin que devrait prendre la Chine ces deux dernières décennies. Xu Jilin 许纪霖, professeur d’histoire à l’Université Normale Huadong à Shanghai a écrit un texte en 2013 qui reflète bien la problématique. Dans un premier temps, il décrit la modernité et fait la différence entre modernité et civilisation. La Chine est arrivée dans la modernité, mais elle doit encore trouver sa voie dans la civilisation. Ensuite, il décrit les débats entre les résistants, les partisans et les promoteurs de la civilisation dominante actuelle tout en rappelant l’écart entre valeurs universelles et modèle chinois. Ensuite, il pense que la Chine devrait trouver une voie médiane entre les deux conceptions. Ci-dessous un résumé de son texte, 中国梦之何种文明:十字路口的抉择, Type de civilisation pour le rêve chinois : choix à un carrefour.
I. Modernité, un nouvel axe de civilisation
La crise de civilisation en Chine, qui a duré un siècle et demi, n’est pas encore résolue bien que la Chine soit devenue riche et puissante. Elle se trouve face à la modernité. Qu’est ce que la modernité ? Selon le sociologue israélien Eisenstadt, depuis le XVIe siècle, un nouvel axe de civilisation a progressivement émergé en Europe occidentale, à savoir la civilisation moderne.
Modernité et civilisation
Qu’est-ce que la civilisation moderne exactement ? Il y a eu de nombreuses études et interprétations à ce sujet. Ici, nous voudrions faire la distinction entre deux niveaux très importants de la civilisation moderne : la modernité, qui est neutre sur le plan des valeurs, et la civilisation, qui a une orientation claire sur les valeurs. La première concerne la richesse et le pouvoir, la seconde un ensemble de valeurs et les cadres institutionnels correspondants
La prétendue modernité de la richesse et de la puissance a aujourd’hui plusieurs concepts différents pour l’exprimer : modernisation, rationalisation, sécularisation, mondialisation, capitalisme. Bien que les concepts soient différents, il existe une caractéristique commune qui fait référence à une capacité et à un ordre neutres en termes de valeur, qui peuvent être associés à différents axes de civilisation et d’idéologie, générant ainsi diverses modernités pluralistes dans le monde d’aujourd’hui. Plus précisément, la modernité au sens d’affluence peut être divisée en trois niveaux, 1.le premier étant la science et la technologie au niveau instrumental, où la richesse et la domination créées par la révolution scientifique en Europe à partir du XVIe siècle et la révolution industrielle à partir du XVIIIe. Au XXe siècle, elle a pris de nouvelles formes telles que la révolution des technologies de l’information, la révolution des nouvelles technologies énergétiques et la révolution biotechnologique, qui ont continué à faire progresser la capacité de l’humanité à transformer et à contrôler la nature et elle-même. 2. La deuxième dimension de la modernité est l’ordre rationalisé, ce que Max Weber a appelé le capitalisme rationalisé, les systèmes de gestion sectorielle dépersonnalisés, les systèmes de comptabilité qui rendent compte des entrées et des sorties, etc. Ce système moderne de gestion des entreprises, de plus en plus répandu, a réussi à coloniser l’ensemble de la société et est devenu la loi universelle de l’ordre dans les domaines économique, culturel, politique et même dans la vie quotidienne. 3. La troisième dimension de la modernité est une quête spirituelle sécularisée, l’esprit du Faust de Goethe, incarné dans la libération et la poursuite illimitées des désirs humains et l’esprit d’aventure et d’entreprise qui en résulte, la poursuite insatiable de l’argent et de la richesse, et l’éthique de travail de l’économie et de la diligence. Cet esprit capitaliste, qui n’a ni valeurs, ni religion, ni âme, a ses propres règles de survie, croyant à la survie du plus fort et à la survie du plus faible. La concurrence sur le marché et la victoire du plus fort contribueront fortement à l’avancement de la société humaine. Cet ensemble technique de la modernité, qui vise la richesse et le pouvoir, est devenu la force universelle dans le monde d’aujourd’hui, avec un visage ambigu et sans croyance aux dieux, mais ne vénère que sa propre puissance indestructible. Il peut être combiné avec diverses civilisations axiales sécularisées qui, en plus de la forme originale du capitalisme chrétien, se sont maintenant ramifiées en capitalisme confucéen, capitalisme islamique, capitalisme hindou, etc. D’autre part, elle peut être mariée à diverses idéologies contemporaines, développant la modernité libérale, la modernité socialiste, la modernité autoritaire.
La civilisation
Outre la modernité, qui est centrée sur la richesse et le pouvoir, il existe un autre niveau supérieur de civilisation moderne, à savoir la civilisation., “la liberté comme corps, la démocratie comme usage“. Le “corps de la civilisation” est un ensemble de valeurs des Lumières modernes, dont le cœur est le respect de la liberté et de la dignité humaine, et qui a développé un ensemble de valeurs de civilisation moderne comparables à celles des religions anciennes : liberté, égalité, fraternité, démocratie, État de droit. Ce discours des Lumières a non seulement une forme conceptuelle, mais aussi un cadre institutionnel correspondant, ce que Fukuyama appelle les trois éléments de l’ordre politique moderne : l’État, l’État de droit et le gouvernement responsable. La civilisation occidentale moderne a été capable de conquérir le monde non seulement par les forces matérielles et rationnelles de la modernité, mais aussi par un discours civilisationnel et un système d’ordre public plus forts. Cependant, la civilisation moderne n’est pas monolithique et est pleine de contradictions et de tensions : le rationalisme contre le romantisme, l’humanisme contre la suprématie technologique, la suprématie de l’État-nation contre la dignité des droits individuels, le développement contre l’harmonie sociale, l’entreprise infinie contre les loisirs et la modération. La scission en différentes idéologies au sein de la civilisation de la modernité s’est produite après le XIXe siècle, les Lumières au XVIIIe siècle et la Révolution française, qui a jeté les bases de la civilisation de la modernité, cette civilisation moderne homogène, s’est scindée en différentes idéologies en son sein au XIXe siècle : le libéralisme, le socialisme et le conservatisme. Ces trois idéologies politiques, après deux siècles de conflits et de luttes, se sont internalisées et ont fusionné pour former aujourd’hui trois modèles exemplaires : le libéralisme à l’américaine, la social-démocratie à l’européenne et l’autoritarisme russe ou est-asiatique, en plus de formes hybrides plus complexes. L’histoire du XXe siècle a également vu l’émergence de plusieurs “modernités anti-modernes” ratées : le fascisme allemand, le totalitarisme soviétique, le socialisme agraire de Mao Zedong. La civilisation occidentale n’a pas complètement conquis le monde au XXe siècle, les anciennes civilisations, qu’elles soient islamiques, hindoues ou confucéennes. Au contraire, partout où la civilisation occidentale est allée, elle a provoqué une résistance féroce des civilisations de l’axe majeur, la conquête et la contre-conquête, l’assimilation et la contre-assimilation se sont produites simultanément à la rencontre des civilisations, la civilisation occidentale moderne transformant la civilisation de l’axe antique, la forçant à se séculariser et à converger vers l’Europe, La Grande-Bretagne et l’Amérique sont davantage axées sur la liberté et l’État de droit, le continent européen met l’accent sur l’égalité, la démocratie et le bien-être social, et l’Asie de l’Est se concentre sur le développement et la prospérité. Quel genre de modernité est donc symbolisé par l’essor de la Chine ?
II. Résistant, partisans ou promoteurs de la civilisation dominante ?
La montée en puissance de la Chine après 2008 est devenue un fait mondialement reconnu. La question est de savoir quelle est la nature de l’essor et de la modernité qu’elle apporte. Yan Fu et Liang Qichao, de la fin de la dynastie Qing, ont découvert qu’il y avait deux secrets derrière la montée de l’Occident : la richesse, le pouvoir et la civilisation. Cependant, aux yeux de générations de Chinois, la richesse et le pouvoir sont d’une importance primordiale, alors que la civilisation peut être en retard. Depuis longtemps, la richesse et le pouvoir l’emportent sur la civilisation, et l’attitude chinoise à l’égard de la civilisation moderne est plus préoccupée non pas par les valeurs de la civilisation universelle et de ses systèmes juridiques et politiques correspondants, mais par la technologie technique, non valorisée, l’ordre rationnel et son esprit capitaliste. Après un siècle et demi de travail acharné, le rêve chinois est enfin devenu réalité. Mais ce rêve n’est qu’à moitié réalisé, une modernité paralysée où les riches et les puissants se sont levés et où la civilisation est encore dans les limbes !
Puissance, mais pas de civilisation
Le secret de l’essor de la Chine, d’un point de vue civilisationnel, est d'”apprendre du meilleur et d’utiliser les compétences des barbares pour contrôler les barbares”, en combinant les lois de rationalisation, les compétences concurrentielles et l’esprit d’économie et de diligence du christianisme protestant, qui sont maintenant en déclin en Europe, avec la tradition séculaire du confucianisme chinois de “faire usage des connaissances du monde”. Les Chinois contemporains sont plus occidentaux que les Européens, avec un esprit faustien de progrès incessant. Les lois de la concurrence de la civilisation moderne se sont déplacées de l’Europe vers l’Est. Aujourd’hui, plus encore qu’en Europe, le peuple chinois ressemble davantage aux Européens du XIXe siècle qu’aux Européens d’aujourd’hui : ambitieux, travailleur et modéré, plein d’avidité et de convoitise, croyant en la loi de la jungle et en la survie du plus fort, et très différent des Chinois traditionnels qui privilégiaient la justice au détriment du profit et l’harmonie. Quel genre de victoire est-ce là ? Est-ce le triomphe de la civilisation chinoise, ou le triomphe de l’esprit occidental ? Même si, un jour prochain, la Chine surpasse les États-Unis en puissance nationale globale et devient la première puissance mondiale, l’Occident rira alors : vous nous avez conquis en force, mais vous avez été conquis par notre civilisation, par l’esprit dépassé, le pire du XIXe siècle ! Bien que la Chine dirige le monde, le vainqueur spirituel ultime reste l’Occident. S’il fallait que ce soit le triomphe de la civilisation chinoise, ce ne serait pas le confucianisme raffiné, mais plutôt l’obsession française pour la richesse et la puissance militaire.
Valeurs universelles/Modèle chinois
Alors que la puissance nationale globale de la Chine se renforce de plus en plus, les valeurs fondamentales de la nation sont perdues, l’ordre éthique de la société est désorganisé, le système politique voit sa légitimité remise en cause, l’autorité et la crédibilité du gouvernement sont perdues et l’État de droit est inutile… La crise de civilisation et la richesse et la puissance du pays offrent un contraste et un contraste assez ironique et frappant. Tout cela signifie que l’ascension de la Chine jusqu’à présent n’a été que l’ascension des riches et des puissants, et non pas encore celle de la civilisation. Face à cette réalité en Chine, il existe deux points de vue extrêmes au sein de la communauté idéologique chinoise, dont l’un est la théorie de la “valeur universelle” et l’autre la théorie du “modèle chinois”. Selon le théoricien des valeurs universelles, il n’y a qu’une seule façon de moderniser le monde, qui est celle démontrée par l’Occident et qui s’est avérée être la seule façon correcte de moderniser depuis le XVIe siècle. Les théoriciens opposés du “modèle chinois” soutiennent que le succès de la Chine prouve précisément qu’il n’est pas nécessaire d’imiter l’Occident, que la Chine peut avoir sa propre voie de modernisation, ses propres valeurs civilisationnelles et son propre système politique unique adapté aux conditions nationales de la Chine, et que l’essor de la Chine fournira un modèle aux pays sous-développés du monde entier, même s’ils abandonnent la civilisation occidentale. Nous pouvons atteindre la richesse et le pouvoir national. Ainsi, une question inhabituellement aiguë nous a été posée : face à la civilisation moderne actuelle, la Chine veut-elle être un rival ou un suiveur de la civilisation dominante ? Ou existe-t-il une troisième voie ?
Civilisation et culture
Pour répondre à cette question, il faut d’abord distinguer les deux concepts de civilisation et de culture. “la culture et la civilisation constituent deux pôles : le mot culture représente l’unicité, la subjectivité, l’individualité ; en revanche, le mot civilisation représente la transmissibilité, l’objectivité, l’universalité”. En Europe, par exemple, la culture et la civilisation européennes sont différentes : “La culture européenne a ses racines judéo-chrétiennes, grecques et romaines distinctives, tandis que la civilisation européenne, caractérisée par l’humanisme, la science et la technologie, s’est étendue à l’Europe et s’enracine dans un contexte culturel complètement différent”. En d’autres termes, les civilisations sont des valeurs ou des essences communes à tous les êtres humains, tandis que les cultures mettent l’accent sur les différences entre les peuples et les identités ethniques. La culture, d’autre part, doit être une forme spirituelle, faisant référence non pas à la valeur abstraite de l’existence humaine, mais aux valeurs créées par certains groupes nationaux ou ethniques spécifiques. Évidemment, du point de vue de la civilisation et de la culture, la théorie des “valeurs universelles” et la théorie du “modèle chinois” font la guerre entre une civilisation universelle et une culture spécifique. Un exemple typique est donné par l’Allemagne essayant d’utiliser la culture spéciale allemande pour résister à la civilisation universelle britannique et française.
Allemagne/ Civilisation universelle britannique et française
Lorsque les idées anglo-françaises se sont répandues en Allemagne au début du XIXe siècle, l’élite intellectuelle allemande a utilisé la culture allemande pour résister à la civilisation anglo-française. Cependant, la voie unique que l’Allemagne a suivie contre la civilisation européenne dominante était une voie sans issue vers la guerre et la non-durabilité. Après la Seconde Guerre mondiale, les Allemands ont appris leur leçon, et la nation entière a décidé de se fondre dans le courant de la civilisation mondiale, en fusionnant la civilisation politique anglo-saxonne avec la tradition protestante luthérienne de l’Allemagne et les traditions sociales-démocrates des temps modernes.
Quelle voie?
L’histoire de l’Allemagne nous a appris que la confrontation avec la civilisation dominante du monde n’est absolument pas la bonne voie, mais la mauvaise voie de l’autodestruction. Si ceux qui croient au “modèle chinois” ne sont prêts à imiter l’Occident qu’en termes de richesse et de puissance, tout en s’accrochant à leur propre culture “unique” en termes de valeurs civilisationnelles et d’institutions, ils créeront une “voie chinoise” unique. “. S’agit-il d’une nouvelle version de la civilisation chinoise 2.0, ou d’un autre empire mongol à la mode, avec pour seules conquêtes matérielles et un manque de créativité spirituelle ? Aux XIIIe et XIVe siècles, les Mongols ont non seulement conquis le nord et le sud du Yangtsé, mais ils ont également traversé l’Asie centrale et l’Europe de l’Est, devenant un vaste empire s’étendant sur le continent eurasien. Cependant, les conquérants mongols qui ne savaient que bander l’arc et tirer sur les aigles, manquaient que de civilisation, et l’empire qui n’était pas soutenu par un charisme spirituel et un système avancé ne pouvait pas perdurer, et en cent ans, l’empire Yuan mongol, autrefois imbattable, s’est effondré et a disparu. Hegel a déclaré dans La philosophie de l’histoire : “La position qu’une nation occupe dans le stade de développement de l’histoire mondiale ne dépend pas des réalisations extérieures de la nation, mais de l’esprit incarné par la nation. Cet esprit mondial est le courant dominant de la civilisation moderne. Ce que la Chine veut poursuivre, ce n’est pas un modèle unique qui confronte l’esprit du monde, mais précisément une voie universelle qui est en accord avec la civilisation dominante et qui peut être portée vers de nouveaux sommets spirituels. La Chine n’est pas une nation ordinaire, mais une nation mondiale avec la tradition historique d’une civilisation axiale, comme l’a dit Hegel, et une telle nation devrait assumer la responsabilité de l’esprit mondial, et ses actions devraient être mesurées dans la perspective d’une civilisation universelle.
L’exemple turc
Alors, comme les théoriciens de la “valeur universelle”, pouvons-nous suivre l’exemple de l’Occident et faire de la Chine un pays complètement européanisé ? À cet égard, la Turquie est un autre exemple de civilisation remplaçant la culture, contrairement à l’Allemagne. Le contraire de l’Allemagne est le chemin de la Turquie moderne. La Turquie, qui trouve ses origines dans l’Empire ottoman, s’est engagée sur la voie de l’européanisation totale au début du XXe siècle avec la Révolution turque menée par Kemal. Non seulement il y a eu une séparation de l’église et de l’État, mais elle a également été complètement laïcisée, la religion autrefois dominante des musulmans étant expulsée de tous les espaces publics et n’existant que comme foi personnelle. Cette voie de remplacement de la culture par la civilisation a duré près de 100 ans. La Turquie, malgré sa modernisation, n’a jamais pu retrouver la grandeur de l’Empire ottoman, et Huntington soutient que la Turquie est devenue un pays déchiré, à risque – fracturé entre un système de civilisation moderne au sommet, similaire à celui de l’Europe occidentale, et une culture musulmane encore imbattable à la base. En d’autres termes, la civilisation n’a pas pu vaincre la culture et a plutôt provoqué la déchirure du pays. Au XXIe siècle, la Turquie a commencé à essayer de sortir de ce dilemme moderne, le parti islamique modéré au pouvoir, le Parti de la justice et du développement (AKP), expérimentant la manière de combiner intrinsèquement la civilisation moderne universelle avec la culture turque et la civilisation islamique particulières à la Turquie, et tout en poursuivant la tradition moderne de laïcité, l’Islam est revenu au centre de la société, non seulement pour sauver les âmes des individus “Religion du cœur”, mais aussi une “Religion de l’ordre” qui intègre l’éthique sociale et le cœur humain. Dans ce processus, Gökalp, un penseur de la fin de l’Empire ottoman, a été revisité. La question de Gökalp était de savoir comment la Turquie pouvait, d’une part, accepter la civilisation moderne et, d’autre part, maintenir son identité culturelle, dans une période de grande transition historique. Selon lui, à l’arrivée de la modernité, la civilisation islamique originale a pris du recul et est devenue une culture nationale spécifique, mais une civilisation universelle ne peut remplacer ou abolir une culture nationale spécifique, La civilisation universelle constitue le système juridique et politique de l’État, tandis que la culture spécifique est l’identité éthique, religieuse et spirituelle partagée par le peuple. La Turquie d’aujourd’hui est une manifestation de l’idée de Gökalp d’une nouvelle tradition culturelle vivante en accord avec la civilisation dominante.
Une voie médiane
L’histoire de l’Allemagne et de la Turquie permet de conclure que ni l’utilisation de la culture pour résister à la civilisation, ni l’utilisation de la civilisation pour la remplacer n’est la bonne voie vers la renaissance nationale, et que la Chine devrait suivre la voie médiane entre ces deux extrêmes, non pas en tant que confrontation avec la civilisation dominante du monde ou en tant que simple suiveur de celle-ci, mais en tant que développeur de la civilisation moderne, répondant aux tendances mondiales et utilisant en même temps ses propres traditions culturelles pour contribuer au développement de la civilisation universelle. Le développement et le progrès apportent leur propre contribution. Et pour ce faire, pour revenir au rang des nations du monde, nous devons d’abord passer de l’ascension des riches et des puissants à l’ascension de la civilisation, et naviguer hors de la trinité historique dans la construction des valeurs et des institutions civilisationnelles.
3. Les trois unités, la religion civile et le patriotisme constitutionnel
Il y a trois traditions culturel importantes en Chine aujourd’hui : les traditions de la civilisation chinoise ancienne, avec le confucianisme en son cœur ; les traditions de la civilisation moderne, marquée par les Lumières depuis le 4 mai ; et les traditions du socialisme du siècle dernier. Au sein de la civilisation moderne, même des deux côtés de l’Atlantique, le modèle américain est très différent du modèle européen. En raison des complexités et des divergences au sein de la civilisation ancienne, de la civilisation moderne et de la tradition socialiste, la question n’est pas de savoir s’il faut “unir les trois unités”, mais quel type de “trois unités” doit être uni ? C’est comme un concours de barman, un cocktail moderne fait de différents mélanges, avec des goûts très différents. Si nous prenons l’ancien modèle français, une nation riche et une forte armée, la richesse et la puissance capitaliste de la modernité occidentale et les traditions autoritaires du socialisme oriental, alors le monstre qui émergera de cette “unification des trois” sera une sorte de capitalisme d’élite étatique ou de socialisme légaliste bureaucratique. Si nous combinons la tradition confucéenne du peuple avec la tradition humaniste, l’idéal libéral de liberté, l’État de droit et la démocratie avec l’idéal socialiste d’égalité, alors les “Trois Unifications” combineront la sagesse et l’essence de toutes les civilisations à tous les âges et en tous lieux, ouvrant un autre paysage.
Des Etats-Unis vers l’Europe
Dans un sens, l’essor de la Chine est également le résultat d’une certaine version des trois unités, mais il s’agit d’une unité non durable et mauvaise. À la jonction de la transition de la richesse et du pouvoir à la civilisation, nous devons changer la formule de “l’unification des trois”, de la nation riche et de la forte armée du légalisme à la centralité humaine du confucianisme, de la rationalisation de la modernité à l’État de droit et à la démocratie de la civilisation, et des traditions autoritaires du socialisme oriental au respect de la liberté et de l’égalité des idéaux des premiers classiques marxistes. Même si nous apprenons de l’Occident, notre regard doit passer de l’étude de l’Amérique à celle de l’Europe. La Chine et le continent européen ont davantage de points de comparaison. Par exemple, la Chine, comme l’Europe, a une ancienne civilisation axiale avec un pluralisme complexe au sein de sa civilisation ; la Chine, comme la France, a une forte tradition d’État bureaucratique et, comme l’Allemagne, a été autrefois arriérée, confrontée au dépassement économique des pays avancés, et à un choc tendu entre les civilisations et les cultures ; la Chine, comme l’Europe, est également profondément influencée par le marxisme et les traditions socialistes, moins religieuses, assez profondément sécularisées. Dans le développement de la civilisation d’un pays, il est impossible d’effacer les traditions existantes et de tout recommencer. Par conséquent, la Chine devrait déplacer sa vision des États-Unis vers l’Europe, tirer davantage de sagesse de l’expérience historique de l’Europe et reconstruire une nouvelle civilisation chinoise par la fusion de la civilisation ancienne, des Lumières modernes et des traditions socialistes.
Patriotisme constitutionnel et Religion civique
La civilisation est à la fois un système de droit et d’ordre et une culture publique. Les valeurs sont divisées en deux dimensions, les valeurs politiques et religieuses, qui s’expriment sous deux formes différentes : le patriotisme constitutionnel et la religion* civique. Le patriotisme constitutionnel est l’identification nationale la plus mince avec les valeurs politiques et la culture politique publique représentées par la Constitution, tandis que la religion civile est beaucoup plus épaisse et comprend les traditions historiques et culturelles et les valeurs morales et éthiques partagées par toute la nation ainsi que la compréhension des sources transcendantes. La culture, l’éthique et la religion doivent laisser une place adéquate à l’autonomie des communautés de différentes confessions, et l’identité publique en tant que communauté nationale ne peut être qu’une identité limitée de valeurs politiques, c’est-à-dire le patriotisme constitutionnel, les valeurs politiques fondamentales sur lesquelles reposent les communautés politiques : liberté, égalité, État de droit, gouvernement constitutionnel, séparation de l’Église et de l’État, et gouvernement responsable. Il ne s’agit pas du “bien” de la religion et de l’éthique, mais seulement de la culture politique publique qui régit ce qui est “juste” dans la sphère politique, qui se situe au-dessus des religions. Elle est également clairement stipulée dans la constitution d’un pays, qui prévoit une reconnaissance institutionnelle et des garanties juridiques.
Religion du cœur et religion de l’ordre
Le patriotisme constitutionnel est une identité politique qui n’a rien à voir avec l’identité culturelle et qui est confinée à la sphère publique de la politique. Toutefois, outre la sphère politique, la vie publique des citoyens comprend également les sphères sociale et culturelle, ce que Habermas appelle le “monde de la vie” en dehors du “monde systémique”. Dans le monde public social et culturel, il est nécessaire d’avoir une religion civique plus importante en valeur, non seulement en valeurs politiques, mais aussi en valeurs éthiques, morales et même religieuses qui sont façonnées par des expériences historiques et culturelles communes. Il convient ici de distinguer deux religions différentes : la “religion du cœur” et la “religion de l’ordre”. La “religion du cœur” sauve l’âme humaine et procure aux fidèles un sentiment d’appartenance et un sens à la vie, tandis que la “religion de l’ordre” ne fournit que des normes morales et éthiques de base pour la vie publique de la société, bien qu’elle ait également un ensemble de sources transcendantes derrière elle. La religion civique à laquelle nous faisons référence ici n’est pas la “religion du cœur” liée à l’ordre spirituel individuel, mais la “religion de l’ordre” qui soutient l’ordre public de la société. En Europe, où la sécularisation est relativement complète, le concept de religion civile est plutôt faible, mais aux États-Unis, qui ont une forte tradition religieuse, ce que Robert Bellah appelait la religion civile existe depuis la fondation du pays. Les valeurs américaines de liberté et d’égalité, soutenues par la Déclaration d’indépendance et la Constitution des États-Unis, ont toutes deux une source transcendante, issue de la volonté du Créateur. Ce qui intéresse vraiment la religion civique, ce n’est pas la vénération de l’État, mais la croyance dans les valeurs auxquelles l’État adhère, ni le culte de divinités spécifiques, mais l’adhésion aux valeurs communautaires qu’elles symbolisent. Alors que dans la sphère privée, chaque individu peut avoir des croyances religieuses différentes, dans la sphère publique de la communauté de l’État-nation, il existe des religions civiques – des valeurs politiques et éthiques publiques, et donc incarnées dans les valeurs fondamentales d’une nation. La religion civique est une religion d’édification, pas une religion de religion. Ce n’est pas une religion d’État, mais elle ne fait qu’un avec la nation ; elle est séparée de l’ordre politique, mais elle est reconnue par l’État. La religion civile est une expérience historique, une culture nationale partagée et une échelle de valeurs commune que tous les membres d’une nation vivent ensemble, bien qu’elle puisse provenir de divinités ou de philosophies morales différentes.
Quelle forme prendra donc la religion civile en Chine à l’avenir ? Est-ce le libéralisme, ou le confucianisme traditionnel, ou la synthèse du confucianisme, du taoïsme, du bouddhisme et d’autres idéologies modernes telles que le libéralisme et le socialisme dans une nouvelle culture publique ? De toute évidence, c’est une question qui mérite un examen sérieux. La possibilité pour la nation chinoise de devenir une nation unifiée et de réaliser la construction de la nation chinoise dépend de la possibilité pour la Chine de sortir de son vide de valeurs fondamentales et de former une religion civile reconnue par l’ensemble du peuple chinois. Cette religion civique doit non seulement se conformer à la civilisation dominante et incarner les valeurs universelles de l’humanité tout entière, mais aussi avoir ses propres origines historiques et culturelles en Chine. On peut dire que lorsque la religion civile de la Chine sera formée, ce sera le jour où la civilisation chinoise sera ravivée. Il s’agit clairement d’une transition civilisationnelle beaucoup plus difficile que la construction d’institutions. La route est longue et tout ce dont nous avons besoin pour reconstruire notre civilisation est de la patience et une vision claire de la direction que nous allons prendre et de ne plus faire de détours.
Le texte de Xu Jilin aurait pu s’intituler “La Chine en construction”. En effet, si le pays a pu construire une économie qui permet de sortir de la pauvreté et d’améliorer la vie de chacun, il lui manque, selon l’intellectuel, un système de valeurs partagé pur amener à une civilisation. La Chine se trouve donc à un carrefour. Xu pense que le rejet et la résistance à la civilisation dominante, n’est pas la bonne solution. Il préfère une voie entre la culture chinoise et les apports occidentaux. Où ira la Chine?
Les habitudes chinoises déconcertent quand on atterrit de sa culture occidentale. Le bonjour obligatoire dans certains endroits est pratiquement absent du quotidien chinois. On se salue d’une autre manière ; un signe de la tête suffit ou une autre phrase fait l’affaire « Tu arrives tôt aujourd’hui » ou encore on utilise le lien de parenté, le titre ou le nom de la personne suivi de bien : 爷爷好 (Grand-père bien, littéralement). J’ai passé huit ans dans une société avec 100% d’employés chinois et je n’ai jamais entendu le fameux “Bonjour 你好 nǐ hǎo”, qu’on apprend dès les premières heures de chinois… Pour le merci 谢谢 xièxiè, l’histoire se ressemble !
Thank you machine
Un ami chinois, qui revenait de quatre années d’études à Londres, me racontait en riant : « Les Anglais disent tout le temps merci, même pour des choses insignifiantes. Je les appelais Thank you machine . Nous, en Chine, nous n’avons pas l’habitude d’utiliser merci toute la journée». J’ai essayé de comprendre les raisons de cette différence, je n’ai jamais trouvé d’étude sur le sujet. Cependant, quelques pistes existent pour comprendre la question du remerciement.
Merci inutile ?
A Shanghai, Il m’arrivait de mettre 谢谢 xièxiè à la fin de mon mail quand je faisais une demande à un employé de la société. Le directeur des ventes me faisait remarquer que c’était inutile. On ne remercie pas une personne qui ne fait que son travail. « Il doit le faire, pourquoi le remercier ?» Richard E. Nisbett, dans « The Geography of Thought, How Asians and Westeners Think Differently… and Why» aborde le sujet des obligations au sein d’un groupe ou d’une communauté dans les pays de l’Asie de l’Est et notamment la Chine. Ses remarques rejoignent le commentaire du directeur. Chaque personne a des obligations très claires au sein d’une communauté et elle ne fait que remplir sa tâche alors qu’aux Etats-Unis « Everyone is always thanking everyone else : « Thank you for setting the table » ; « Thank you for getting the car washed ». In her country (asiatique) everyone has clear obligations in a given context and you don’t thank people for carrying out their obligations.” (Chapitre “Living together vs. Going it alone”).
Bas et haut contexte
La différence entre pays à bas contexte et haut contexte permet de mieux comprendre cette différence au niveau de l’utilisation des mots de politesse.Dans les pays à haut contexte, les relations sont importantes et comptent dans la durée. Le formel peut l’emporter, mais les mots ne disent pas tout. Le contexte, l’expression, l’intonation, les gestes donneront parfois le sens du message. Dans les pays à bas contexte, la communication sera plus directe et le besoin de clarté l’emporte. La Chine, la Corée, le Japon sont rangés dans les pays à haut contexte alors que de nombreux pays occidentaux, comme les Etats-Unis, l’Allemagne, les pays scandinaves sont à bas contexte. La France se situe entre les deux, mais comparée à la Chine, elle est bas contexte. Comme nous l’avions expliqué ici, le non-dit et l’implicite sont omniprésents en Chine et le remerciement ne s’exprimera pas toujours verbalement ou directement. Une louange ou un compliment en feront office. Même dire merci ou excuse-moi entre gens proches peut paraître bizarre. Plus d’une fois, on m’a fait remarquer que le merci ne servait à rien !
Évidemment, le merci est quand même utilisé et quand on est dans des milieux plus occidentalisés, le xiexie est plus courant. Ce type d’article n’a pas pour vocation de donner des règles absolues, mais de montrer des différences et de lancer des pistes pour mieux comprendre et se comprendre. Les habitants d’un pays à bas contexte qualifient rapidement certaines habitudes de communication de pays à haut contexte d’hypocrites, alors qu’en fait les modes d’expression diffèrent et parfois dire une vérité crument peut être considéré comme un manque d’intelligence ou de politesse dans un pays à haut contexte!
La culture traditionnelle chinoise repose sur trois piliers : la culture confucéenne, le système bureaucratique étatique et la famille traditionnelle. La famille peut être placée dans la catégorie des religions, avec par exemple la vénération des ancêtres. Pour de nombreuses affaires, le gouvernement n’exerçait pas son contrôle, les sociologues aiment rappeler l’expression, « 皇权不下县, Le pouvoir de l’empereur ne descend pas dans le comté. » En l’absence de véritable état de droit, c’est la famille qui réglait par exemple les questions de mariage, répartition des biens, soutien des parents. La famille avait un rôle vital. Dans la culture traditionnelle, c’est la famille qui choisissait les études, le professeur, le conjoint, le travail et les connaissances à fréquenter. La famille contrôlait la vie.
Caractère chinois signifiant famille :
Transformation de la population, vers plus de liberté
Cette étape correspond au passage de la baisse des taux natalité et de mortalité et au développement de l’économie. L’individu recherche davantage de liberté, ce qui apportera des contradictions avec la famille. Il accepte moins les contraintes imposées par la famille, c’est un phénomène mondial qui voit le recul de l’âge du mariage, la hausse des divorces et l’apparition d’enfants de parents célibataires. De plus en plus d’enfants ne vivent pas avec les deux parents dans les pays occidentaux (25% en France). En Chine, c’est encore rare, tout comme la famille monoparentale. Ce qui signifie que les couples chinois craignent le divorce. L’inégalité homme-femme au sein du couple a pratiquement disparu. La femme étudie, travaille et peut faire des choix, sur, par exemple, un mariage tardif et le conjoint.
Tout le monde se mariait
La nouvelle Chine de 1949 a renforcé la culture familiale et tout le monde se mariait durant les premières décennies de cette époque. En 1981, avec la nouvelle loi exigeant une attestation de l’unité de travail, le nombre de mariage a baissé. L’annulation de ce document par la suite a vu un recul de l’âge du mariage, tendance qui ne devrait pas s’arrêter. Dans le passé, les personnes à un niveau d’éducation élevé se mariaient plus tard que ceux à un niveau d’éducation bas. Au final tous se mariaient.
Le facteur économique
Aujourd’hui, la situation est différente, 20% des hommes à bas revenus sont encore célibataires à 40 ans. On trouve des femmes à haut niveau d’éducation, qui ne sont pas mariés à 40 ans et qui ne le seront peut-être jamais. Pour les hommes à bas revenus, le facteur économique est important car on considère qu’un homme doit avoir un logement. Dans les villes où la pierre est chère, il est difficile d’acquérir un appartement. D’ailleurs, en comparant le prix de l’immobilier et l’âge du mariage, on remarque que le plus le prix du mètre carré est haut, plus l’âge du mariage est élevé. En effet, avoir un logement fait partie des conditions pour se marier. Une étude montre que 80% des couples avaient un appartement avant le mariage. Le mari est parfois plus âgé que la femme. Généralement, un homme, s’il n’a pas de capital, va travailler quelques années pour économiser et acquérir un appartement dans le but de se marier. La position de la société et la situation économique comptent. Sans revenus, sans appartement et sans hukou urbain, il sera, pour la femme, difficile d’avoir un enfant. On assiste à un phénomène d’homogénéité dans le mariage où les couples ont généralement un même niveau d’éducation et de revenus.
Faible taux de divorce
Le sociologue affirme qu’il ne faut trop croire les chiffres sur le divorce évoqués par les medias car ils donnent le taux de divorce par rapport à la population (粗离婚率). Il estime le taux de divorce moins important qu’au Japon (environ 15%) et dans les pays occidentaux. Pourquoi ce chiffre est aussi bas ? En Chine, on pense d’abord à l’intérêt de la famille et surtout à l’enfant. On veut préserver le mariage pour le protéger.
L’enfant est le centre
En effet, on peut affirmer que tout est centré sur l’enfant. L’enfant est le but du mariage et les conditions économiques sont envisagées pour l’enfant. Les enfants sans mariage sont très rares.Les études de l’enfant sont considérées de la plus haute importance. Les parents investissent beaucoup dans l’éducation, même les parents d’un niveau culturel bas pensent que les études sont vitales. La Corée, très influencée par le confucianisme, connaît le même phénomène.
Les transformations de la population ont donc vu apparaître le mariage tardif et le célibat. Le nombre de parents célibataire devrait croître, mais dans une petite proportion. Le phénomène de population flottante avec l’éloignement détruit les liens familiaux et est un facteur qui doit être étudié. L’enfant est devenu le centre de la famille. Malgré les volontés de plus grande liberté, la famille a gardé toute son importance, ce qui fait une caractéristique très forte de la Chine, surtout quand on regarde les pays occidentaux.
Un article du professeur Wu Guosheng, directeur du département de l’histoire des sciences de l’université de Qinghua à Pékin, met en lumière la véritable différence entre la Chine et les Etats-Unis : l’innovation technologique. Il détaille dans un premier temps cette différence, expose quels sont les obstacles à l’innovation et explique pourquoi l’utilitarisme est nuisible.
Les agitations de la guerre commerciale ont détourné l’attention d’un sujet crucial pour la Chine : l’innovation technologique. Elle a permis aux leaders d’occuper les premières places, l’Angleterre avec la Révolution industrielle, l’Allemagne avec ses scientifiques et les États-Unis de nos jours. Comment se situe la Chine à ce niveau face à l’Amérique ?
1. Les véritables différences entre la Chine et les États-Unis
Les véritables différences entreles États-Unis et la Chine se trouvent dans : 1. La recherche fondamentale 2. La recherche appliquée 3. Recherche de développement pour le marché Les principales découvertes du XXe siècle sont américaines : la transmission radio, l’ordinateur et Internet. La National Science Foundation fondée en 1950 a pour vocation de soutenir la recherche et d’apporter des fonds ; elle a contribué à l’essor scientifique du pays. L’importance de la recherche fondamentale Pourquoi les États-Unis attachent une grande importance à la recherche fondamentale ? Parce qu’elle détermine le niveau de développement de la recherche scientifique, décide si les premières innovations peuvent « faire boule de neige » et passer à la recherche appliquée et au développement. Ainsi, la force scientifique américaine s’est développée de jour en jour. La recherche fondamentale en Chine La faiblesse de la Chine tient dans le manque de réelles connaissances dans les disciplines de recherche et dans la recherche fondamentale. La science est la recherche de la vérité, le développement de la créativité individuelle pour découvrir les mystères de l’univers, mais à notre époque le mot science est davantage utilisé dans d’autres but pour sauver la nation, la renaissance de la Chine et pour des intentions culturelles. La vision utilitariste est encore trop présente, l’Etat s’est concentré sur les grands travaux très « visibles », comme le train à grande vitesse et la navigation spatiale. La recherche fondamental manque, l’innovation technologique se base trop sur les technologies des autres. Il faut dépasser le stade d’améliorer un morceau des autres. Il est normal dans un premier temps d’imiter les meilleurs, mais ce stade doit être passager et pour durer sur le long terme et être fort, il faut être à l’origine des innovations technologiques. Pour progresser, il faut se débarrasser des freins à l’innovation.
2. Trois facteurs entravent l’innovation
1. L’esprit de liberté est la base de l’innovation et de la créativité. Le problème de la liberté d’esprit notamment vient de l’enseignement, qui ne le suscite pas. A. Un modèle basé sur le par cœur et l’obéissance doit se réformer. Des étudiants sortis d’un tel système ne pourront devenir des scientifiques créatifs. L’éducation doit permettre de développer une individualité. L’enfant, dès les premières années, doit obéir et suivre les règles à la lettre et quand il fait un doctorat, tout à coup, il doit être créatif. B. Les établissements ne doivent pas être gérés par les fonctionnaires. Les écoles et les organismes culturels ont leur propre fonctionnement. Un directeur d’école a un poste culturel, qui ne répond pas à la même logique que la carrière d’un fonctionnaire. C. Les professeurs ont encore des conceptions d’enseignement troprigides et conservatrices. Ils doivent être plus ouverts, notamment à l’école élémentaire. L’Etat doit autoriser l’ouverture en grand nombre d’écoles privées. L’éducation est très importante et exerce une influence sur le long terme. Contenir la créativité est nocif et conduira à un recul de l’innovation et du QI de la nation. 2. La communauté scientifique La communauté scientifique doit se mobiliser pour une culture scientifique. Ce monde devient lentement un système administratif. Les académiciens sont les plus grands bénéficiaires des ressources, ils ne parviennent pas toujours à dépenser toutes les sommes allouées alors que les jeunes scientifiques peinent à trouver des subsides. Il faut changer le système. Bien entendu, le gouvernement apporte des modifications avec par exemple la formation de fonds supplémentaires pour la science. 3. La société devrait davantage soutenir le monde scientifique et croire en son potentiel. A côté de ces trois obstacles, Wu pense que l’utilitarisme a un impact négatif.
3. L’utilitarisme est nuisible à l’innovation scientifique
La recherche et la découverte d’innovation sont en fait non utilitaristes. Dépasser une attitude utilitariste permet d’avoir un état d’esprit innovant, il ne faut pas toujours penser en termes d’avantage et d’utilité immédiats. En effet, quand on pense avantage, on se fie à son expérience alors que l’innovation doit dépasser les contraintes et ouvrir de nouveaux horizons. Un utilitarisme trop important est un obstacle. La Chine a une culture utilitariste trop forte.
Le professeur Wu demande plus de moyens dans la recherche, un enseignement qui laisse plus de liberté et propice à la créativité, des changements dans le monde scientifique et le soutien de la société. La vision uniquement utilitariste doit être moins présente pour laisser plus de latitude à la science. Ces problèmes ne sont pas nouveaux et sont presque normaux. Il est plus facile d’acheter une machine, de l’analyser et d’en faire une meilleure que de changer un système de pensée et d’enseignement conservateur qui restreignent les initiatives et ne favorisent ni l’originalité, ni la créativité. Wu lance probablement un cri d’alarme pour faire bouger les lignes. La Chine parviendra-t-elle à passer du stade de meilleur élève du monde à celui d’innovateur?
NB : Quand Wu demande plus de liberté, il ne parle pas de politique. Il vise le système d’enseignement, qui laisse trop passif l’élève.
Dans l’enquête sur l’influence de la langue sur la psychologie et la pensée chinoises, il est utile de rappeler les différences d’apprentissage entre les langues européennes et le chinois.
Apprendre à dessiner
Un enfant chinois apprendra dès le cours préparatoire à écrire, et même à dessiner des caractères. Il tracera des traits, apprendra à réfléchir différemment. Ma fille, qui a suivi la première partie de sa scolarité dans une école chinoise d’un hutong pékinois passait plus de temps à écrire et réécrire des caractères pour les mémoriser qu’à assimiler des notions grammaticales. Le développement de son esprit était sollicité différemment qu’à l’école française. Pour arbre 木, elle « apprenait » une idée, une image qui fait penser à un arbre. Quand elle rencontrait deux arbres 林, elle avait un bois, trois arbres 森, une forêt. La même chose avec le caractère homme 人. Avec deux hommes 从, elle faisait vite l’association d’idées avec la signification suivre, et avec trois hommes 众 avec le sens de foule.
Cerveau gauche, cerveau droit
Cyrille Javary, dans son ouvrage « 100 mots pour comprendre les Chinois » montre bien la différence dans les deux apprentissages avec le mot vivre. « Pour le lire, notre cerveau a été amené à réaliser une série d’opération dont l’habitude nous a fait oublier qu’il s’agit d’un processus d’abord arithmétique. Pour lire VIVRE, avant de percevoir la signification du mot, nous avons dû réaliser toute une série d’additions littérales : V + I = VI, puis V+ R+ E = VRE, et finalement VI + VRE = vivre. Ce processus mental est effectué par notre cerveau gauche, celui qui est habile aux démarches arithmétiques… Pour lire un idéogramme, le cerveau gauche est inopérant, simplement parce qu’on ne peut pas épeler un idéogramme. Même si il est composé de plusieurs éléments ayant individuellement une signification en propre, son sens ne résulte pas de leur addition, mais du saut qualitatif produit par leur association. Sa lecture met en jeu l’hémisphère droit. »
Logique et analyse
Différence également dans l’étude de la grammaire, ma fille ne se rappelle pas durant ces cinq ans avoir étudié la grammaire, signe que les cours sur le sujet ne devaient pas être très importants. Un enfant européen devra circuler dans le labyrinthe des temps, des modes, des accords, des subordonnées, des concordances de temps. L’analyse de la grammaire et de l’orthographe le forment à appréhender et analyser le monde d’une autre façon avec une autre logique. Rappelons que les Chinois n’ont pas éprouvé le besoin d’avoir une véritable grammaire avant 1889. Depuis, la grammaire chinoise s’est davantage conceptualisée et on l’enseigne de manière plus systématique avec les grandes notions qui nous sont familières, mais la relative simplicité de la grammaire chinoise n’impose pas des règles sophistiquées ( voir l’article).
On peut donc noter que le cerveau est sollicité différemment dans l’apprentissage des caractères chinois et que l’étude d’une langue européenne suscite un travail d’analyse et de logique différent et plus conséquent. Peut-on relier cette constatation avec les destins différents de la science de la logique dans le monde grec et dans le monde de Confucius ? Certainement, mais c’est une autre histoire. Il serait facile de faire des déductions hâtives avec de belles théories pour montrer l’influence de la langue et des caractères, mais ce n’est qu’un facteur, certes important, parmi d’autres dans la formation et la structures des pensées. Je reviendrai lors de prochaines articles sur des sujets voisins.
Avec la transformation du pays et les changements du système économique, certains mots n’ont plus la même vie. 差不多, chàbùduō, illustre les mutations dans les comportements.
L’approximatif perd du terrain
Dans les années 80 et même 90, l’un des mots qu’un étranger pouvait entendre souvent est 差不多, à peu près, presque. Le pays était en train de sortir d’un système économique d’Etat où l’unité de travail 单位 englobait encore toute l’existence de la grande majorité. Alors, l’exactitude, la rigueur, le rendement, la rentablité n’étaient pas toujours le grand souci dans le travail. On était parfois dans l’à peu près. Maintenant, signe de l’évolution du système et de la société, l’à peu près a repris une place plus modeste et le 差不多 est moins présent. L’heure est à plus d’efficacité, les entreprises privées abondent et on ne peut se contenter d’une trésorerie approximative. La rigueur prend du terrain et signe des temps 差不多 ne vient plus montrer un travail approximatif
Un peu de langue
Bien entendu, dans la vie quotidienne, 差不多 a tous ses droits. J’avais pris des notes sur son utilisation en 2016 et je ne peux résister à l’envie de ressortir mes notes : 这两位老师年龄差不多, Ces deux professeurs ont presque le même âge. (En tant qu’adjectif, il est placé après le nom qu’il qualifie). En tant qu’adverbe, il se trouve avant l’adjectif, l’adjectif numéral ou le verbe : 离这里差不多三公里, D’ici, il y a à peu près trois kilomètres. 你们差不多高, Vous avez presque la même taille. 我差不多跑了两个小时, J’ai couru presque deux heures.
Su Chun, dans la série 蜗居, dit à sa bien-aimée ou plutôt sous-entend qu’elle a fait assez de ménage, elle n’a pas besoin de le faire à fond, « A peu près ça va, 差不多就行了 ». Le contexte montre bien que Su Chun parle du nettoyage de la maison. Il sous-entend : nous avons nettoyé à peu près et ça va ! On notera la nature très « elliptique » du chinois. En six caractères, le message est très clair pour un Chinois. Wu fait un exposé et est sur le point de finir, il veut passer la parole à une autre personne, il lance : « 我差不多了 ! » Il sous-entend qu’il a presque fini. De même, chez une connaissance, Wu regarde sa montre et lance un : « 差不多! » Il veut dire qu’il est presque le temps de partir.
La langue chinoise transporte un Occidental dans un univers radicalement dépaysant. Les caractères prennent la place de l’alphabet et la grammaire ne s’embarrasse pas par exemple avec des temps ou mode complexes. Je ne sais pas si le langage détermine la pensée (hypothèse Sapir-Whorf) et les comportements. Néanmoins, il a une influence.
Allemand et français
Avant de partir vers le chinois, nous pouvons nous arrêter devant un écart moins important : le français et l’allemand. L’allemand met souvent son verbe à la fin de la phrase (dans les temps composés) où à la fin de la subordonnée si bien qu’on doit attendre le verbe pour comprendre le message. Après le verbe, il n’y a plus rien à ajouter. Est-ce pour cela qu’on coupe moins la parole en Allemagne ? En revanche, en français, on pose d’abord l’essentiel et ensuite vient l’accessoire. Le français va vers les détails, alors que l’allemande prend le sens inverse. Mme de Staël en visite en Allemagne, regrettait ce gazouillis français quand tout le monde parle en même temps, elle avait bien compris les différences : « Par la nature même de sa construction grammaticale, le sens n’est ordinairement pas compris avant la fin de la phrase. Ainsi le plaisir d’interrompre, qui rend la discussion si animée en France, et force à dire si vite ce qu’il importe de faire entendre, ce plaisir ne peut exister en Allemagne, car les commencements de phrases ne signifient rien sans la fin, il faut laisser à chacun tout l’espace qu’il lui convient de prendre ; cela vaut mieux pour le fond des choses, c’est aussi plus civil, mais moins piquant. » De l’Allemagne (1813) Le philosophe allemand Heinz Wismann explique dans « Penser entre les langues » l’influence diverse de l’allemand et du français sur la pensée et les comportements. Ne partons pas plus loin, revenons à la Chine.
Changement et souplesse
Quand on commence sa vie en Chine dans le monde du travail l’écart est encore plus grand, plusieurs phénomènes peuvent frapper : le changement, la souplesse et le manque de clarté dans une réponse. J’avais assisté il y a quelques années à Wuhan à une formation où l’intervenant faisait réfléchir une cinquantaine de cadres sur les changements de décision au sein de la direction : « Vous avez un gros problème avec un client, vous allez voir votre patron, lui proposez plusieurs solutions, il choisit la première. Vous êtes content c’est celle que le client acceptera. Sitôt sorti du bureau, vous appelez le client et lui faites part de la bonne nouvelle. Vous raccrochez, vous montez dans votre voiture et votre directeur vous appelle pour vous dire qu’après réflexion, il ne vaut mieux pas faire cette proposition. Aïe ! Vous avez déjà annoncé la nouvelle. Comment faire dans l’avenir pour que pareille mésaventure ne se renouvelle pas ? » Les réponses fusèrent, celle-ci l’emporta : « Apprenez à gérer le boss. De nombreux patrons d’entreprises sont ainsi, rien n’est fixé. Une décision n’est pas un arrêté, c’est un constat, qui reste ouvert ! ».
Grammaire ou habitudes ?
Ces constations me rappelaient les conversations avec mes professeurs de chinois des premières années sur la grammaire. La grammaire chinoise est simple, même l’un allait jusqu’au blasphème : « Il n’y a pas de grammaire chinoise, il y a juste des habitudes ! ». On ne s’embarrasse pas de temps, passé composé, futur, imparfait, de modes indicatif, subjonctif, conditionnel. En français, on dira « Demain, j’irai à la piscine » alors qu’en chinois, comme la conjugaison et les temps n’existent pas, ce sera « Demain je aller à la piscine, 明天我去游泳池 ». Le contexte donne le sens ; on pourra toujours ajouter un mot pour exprimer le futur, mais ce n’est pas complètement indispensable. Avec demain, pourquoi s’encombrer d’un temps futur, demain est le futur ! Il n’est pas non plus besoin de mettre un article à accorder selon genre du nom ( à la piscine, au cinéma, à l’aéroport), le genre n’existe pas.
Besoin de grammaire ?
D’ailleurs, le besoin de grammaire n’a pas existé durant longtemps. Seulement à partir du XIXè siècle, les Chinois au contact des linguistes étrangers ont rédigé une grammaire chinoise en 1889. Joël Belassen par mail , me précisait : “Les premières grammaires ont été rédigées bien avant, mais par les Jésuites. La première date de 1652, rédigée par M. Martini. La première grammaire assez raisonnée et “scientifique” est celle d’un Jésuite français un peu plus tard… côté chinois, avant, juste les notions de “mots vides” et “mots pleins”. Panini avait composé la première grammaire de sanskrit au Ve siècle Av. J.-C.; il faut dire que le sanskrit a une grammaire très complexe (j’ai souffert avec Panini) !
Changement, souplesse et langue chinoise
Les règles chinoises n’enserrent pas le locuteur dans un cadre strict où il doit faire des accords et répondre à des règles plus ou moins sophistiquées de concordance des temps ou de d’accords du participe passé. La souplesse de la langue chinoise laisse de la latitude. Elle donne une certaine liberté et ne fait pas obstacle au mouvement au sein de la phrase. C’est par ces mots que ma première enseignante reliait changement, souplesse et langue chinoise.
Oui ou non ?
On peut aussi relier le manque de clarté et même l’implicite dans le quotidien (voir l’article ici) avec la langue qui ne comporte pas véritables oui ou non. Bien entendu, on peut remplacer le oui et le non par une réponse qui signifiera oui ou non, mais est-ce bien utile ? Mon premier associé chinois m’expliquait après une réunion peu claire avec un client : « Tu sais Yes et No n’existent pas en chinois, ça ne sert à rien, car quand un Chinois dit oui, c’est peut-être oui, c’est peut-être non, ou rien du tout, il ne sait pas exactement ce qu’il veut. »
Il est difficile d’affirmer à quel point la langue chinoise influence la pensée, la psychologie et les comportements. Ma pratique du pays me donne souvent l’impression de lire la grammaire dans le quotidien. Évidemment, j’ai abordé qu’un aspect du sujet, il mérite de multiples développements, les caractères et l’imaginaire, l’inconscient, le mondes des signes, le yin yang. Mais ce sont d’autres histoires… à raconter bientôt.
Qu’est-ce qui se passe en Chine ? Parfois, on ne sait pas vraiment, l’accès limité à certains pans de l’information assèche les sources. Les informations sur les inondations actuelles ne débordent pas des sites officiels d’information. Le journaliste Wang Jian, lui pense que le sujet est le gros problème de la Chine actuellement.
Que les trains arrivent à l’heure !
Le contrôle sur l’information réduit la connaissance que l’on peut avoir du pays. Les journalistes chinois ne peuvent pas parler de tout et doivent contribuer à l’harmonie de la société. On préfère les trains qui arrivent à l’heure. Le site Caixin, dans son édition payante, pousse la limite un peu plus loin. Certains de ses articles de la version anglaise servent de réchauffé pour la presse occidentale. Les journalistes étrangers, en raison de réseaux moins étoffés, ont souvent plus de difficultés à avoir l’information. Il existe nombre de sites et de chaînes d’information basés à l’étranger en langue chinoise fondées par des personnes originaires de Chine. Ils sont en général fort intéressants car ils reprennent des informations non divulguées en Chine. Le hic, c’est qu’une partie n’est pas vérifiable en raison du manque d’accès aux sources. Certains sont en campagne contre le gouvernement de Pékin ; leurs passions brouillent un peu l’objectivité. Il faut faire le tri et éviter fausses informations et spéculations hasardeuses qui abondent. Une plus grande ouverture de l’information aurait évité les spéculations sur l’origine du virus et sa propagation en Chine. Le ciel international serait plus serein.
Le silence parle
Les inondations ne font pas la une des médias officiels ces derniers jours, le sujet est peu abordé. Par exemple le très officiel site People.cn aujourd’hui sur sa page d’accueil s’étend sur une réunion du Bureau politique présidé par Xi Jinping, les actions du gouvernement et de son Premier Ministre. Il faut chercher dans le site pour trouver quelque chose, une photo d’une grand-mère sur le dos d’un valeureux sauveteur. Seulement aujourd’hui dans l’édition papier, les propos du président Xi lors de cette réunion sur les inondations sont rapportés. Parfois, la non-mention d’une information est une information et indique sa sensibilité. On se rappellera que fin décembre et début janvier, le Covid 19 était pratiquement invisible sur les médias officiels ; les données sur le site de la commission de la santé de Wuhan étaient très légères. Il n’en fallait pas plus pour comprendre qu’il se passait quelque chose d’important, comme, notamment, Wang Jian basé aux Etats-Unis l’affirmait à l’époque. Fascinante la Chine : quand on ne parle pas d’un sujet, le silence en parle en fait ! Les autres sites chinois sont très discrets sur le sujet. Seul Caixin, dans sa version payante, aborde le sujet de l’inondation avec des informations que l’on peut retrouver dans les médias occidentaux qui préfèrent les trains qui n’arrivent pas à l’heure.
Je suis toujours très réservé face à des personnes qui prétendent tout savoir sur la Chine que ce soit des Occidentaux ou des Chinois. Les premiers sont dépendants d’une information souvent partielle et partiale. Les seconds ne peuvent pas avoir accès à toute l’information. J’ai des amis Chinois qui m’ont avoué avoir « découvert » une autre Chine quand ils sont venus habiter à l’étranger !
Le repas reste incontournable en Chine pour adoucir les relations en affaires et avancer ensemble. Dans de nombreuses occasions, l’alcool est de mise, notamment dans le Nord-Est et le Shandong. Le Xinjiang n’est pas avare en breuvage fort non plus. Il permet parfois de renverser ou sauver des situations. J’avoue que j’ai dû apprendre à ruser pour ne pas défaillir. Boire ne fait pas partie de mes activités préférées d’autant plus que je suis en général toujours en train de préparer une compétition sportive. Il faut gérer.
Apprendre à gérer
L’animation prend de l’ampleur quand plusieurs tables font partie des invités, voire plusieurs dizaines de tables. Je me suis retrouvé déjà dans des soirées de près de mille personnes. Il faut bien gérer les toasts car c’est un coup à se retrouver sous la table. Qu’on ne vous connaisse ou pas, on viendra trinquer avec vous. En plus, si vous êtes le seul étranger de la partie, comme ça m’arrivait dans 99,99% des cas, votre position est fort vulnérable. A moins de jouer un air « Je suis malade », il faudra participer à la danse et commercialement ce n’est pas mauvais.
La parade
Oubliez le fameux cul sec (verre sec), 干杯gān bēi, pour le 随意, suí yì , comme vous voulez (à votre guise). Vous signalez à votre compère que vous ne faites pas cul sec. Ensuite, il peut se jouer des jeux de face. Parfois, mon interlocuteur veut que je lui donne de la face et que je boive cul sec. Et les mouvements d’esquive ne marchent pas toujours, vous avez beau vous défendre « Tu bois cul sec et moi à ma guise, 你干杯,我,随意! », si l’autre insiste, vous n’avez pas le choix. Selon la position dans l’entreprise, il faudra peut-être faire le tour de toutes les tables et trinquer avec tous. Généralement, on comprend que cette longue tournée – j’ai déjà fait des tours de plus de cinquante tables – vous autorise à ne pas boire cul sec à chaque table. Ouf !
Un facilitateur classique
J’avais dû aller régler en 2015 un problème à Daqing, ville de pétrole entre la frontière russe et Harbin. Wei, l’agent n’avait rien à se reprocher. J’étais le messager d’une nouvelle qui lui retirait une partie du marché. Contrairement aux propos d’abord tenus, l’industriel ne lui donnait finalement pas l’exclusivité sur tout le nord-est, il lui laissait qu’une province, le Heilongjiang. J’avais d’excellentes relations avec Wei et je m’étais proposé d’aller me frotter au froid sibérien pour éviter une catastrophe. Wei était fort remonté et prêt à faire la guerre (qui aurait pénalisé les deux parties) pour faire respecter les engagements initiaux. Arrivé au milieu du repas, je sentais que ce serait difficile d’arriver à le convaincre de céder. Je suis parti sur le registre de l’amitié et j’ai commandé un alcool de riz, assez fort, à 60 degrés. Je lui ai dit que j’avais tout essayé pour éviter cette situation et que nous étions tous les deux victimes d’une décision unilatérale et qu’on se rattraperait dans l’avenir. L’alcool a apporté du liant et peu à peu la tactique mise en place adoucissait l’ambiance et Wei voulait bien entendre raison. Récemment, il m’a avoué : « Heureusement, nous avons bu, sinon je n’aurais pas cédé ! Nous avons résolu le problème ! ».
Les repas en Chine ont souvent une grande ambiance. Le cérémonial est parfois important et je ne m’ennuie jamais. Observateur ou/et acteur, on plonge dans les codes d’une société avec curiosité et intérêt.