Histoire de traduction
La Chine a procédé à une simplification des caractères en 1964, qui touche 2 238 caractères. Taïwan, Hong Kong et Singapour n’ont pas opéré de réformes en ce sens et ont gardé les caractères en l’état. Les Occidentaux ont traduit ces deux catégories 繁体字 et 简体字 en « caractère traditionnel » et « caractère simplifié ». Si caractère simplifié correspond bien au chinois 简体字, caractère traditionnel ne reflète pas 繁体字 qui veut dire caractère complexe. Je ne sais pas comment a été prise cette décision de traduction singulière. Connaissant l’anticommunisme de certains sinologues de l’époque pour qui la Chine s’était arrêtée de vivre en 1949, je me suis demandé si ce n’était pas pour marquer la coupure de la RPC avec la richesse de sa culture. Bref ! Je regrette juste que cette traduction peut induire en erreur. Pourquoi ? L’immense majorité des caractères simplifiés existait bien avant cette réforme et même certains avant les caractères dits traditionnels, voir 云 ici.
Il est utile de faire un bref survol de l’histoire « simplifiée et complexe » de ces caractères.
Graphie non définie!
Les caractères chinois ont plus de 3 000 ans d’histoire, ils ont connu de nombreux changements. Les premières traces d’écritures remontent à la dynastie Shang (vers le XVIe siècle Av. J.-C.). Les premières sont les jiaguwen 甲骨文, inscriptions oraculaires sur des carapaces de tortue et ou sur des os. Les variations pour un caractère pouvaient dépasser la centaine.
Par exemple, le caractère 中 avait de nombreuses graphies, quelques échantillons :
中 n’est pas un exemple isolé.
Les modifications ne cessent malgré les volontés d’unification
Les tentatives de normalisation et d’unification dans un premier temps n’ont pas rencontré de grands succès. Les distances, les erreurs humaines, les changements d’instruments pour l’écriture et de style ont favorisé la confusion. L’arrivée du pinceau entraîna des modifications dans le tracé, les traits devinrent épais et empêchèrent les arrondis et les retours en arrière. A la confusion, s’ajoutait la confusion.
Le ministre de Qin Shi Huang en -213, Li Si oeuvra dans le bon sens en éditant un catalogue officiel de 3300 caractères, qui certes comportait des erreurs.
Changement et simplification
Les auteurs de l’ouvrage « A l’origine des caractères simplifiés 简化字溯源» considèrent que l’écriture Lishu 隶书,apparu aux environs de 200 Av. J.-C., a détruit les caractéristiques pictographiques des caractères chinois en transformant les courbes en droites et en changeant les traits. En abrégeant ou en fusionnant les caractères, ce style a procédé à une véritable simplification. Ces linguistes pensent que ces sacrifices linguistiques étaient indispensables pour la clarté de la communication. Malgré toutes ces modifications, il restait encore des caractères assez complexes avec plus de vingt traits. Les styles ultérieurs d’écriture, notamment la cursive, apportèrent aussi leur lot de diversification. Progressivement, une simplification populaire face à la complexité de certains caractères vit le jour, même chez des lettrés. Parfois, on peut parler d’abréviations.
On reprenait d’ancienne formes plus simples du caractère ou on l’allégeait tout en restant proche du sens. Sous les Qing, les Taiping se révoltèrent et fondèrent un royaume qui vécut de 1851 à 1864. Leurs publications avaient adopté des caractères simplifiés, qui existaient avant la dynastie Qin (221 Av. J.-C.). Le spécialiste Li Leyi estime que 30% des caractères simplifiés actuels viennent de cette période et de celle des Han-Qin (221 Av. J.-C.- 220 Ap. J.-C.). Les auteurs de l’ouvrage sur l’origine des caractères simplifiés ont effectué une étude sur 388 caractères simplifiés, qui montre que 12,63% existaient avant les Qin, 15,98% ont vu le jour sous Qin et les Han. Voir le détail dans le tableau :
J’ai ouvert au hasard le livre de Li Leyi et pris des exemples :
带 dài (ceinture, apporter, emporter), a une forme traditionnelle peu complexe 帶, mais il était très employé, il a connu la simplification 带 dès l’époque des Han. Le calligraphe Shiyou des Han l‘écrivait 带.
国 guó, pays, État. Le traditionnel est assez complexe à l’intérieur de l’enceinte, 國. Dès la dynastie des Tang (618-907), la partie intérieure était occupée par le jade 玉.
Sans exagérer, on peut affirmer que les autorités chinoises ont officialisé la pratique de la population qui utilisait des caractères plus simples, les étudiants notamment. La simplification des caractères, en fait, est un processus presque normal apparu plusieurs fois dans la culture chinoise ces trente-cinq derniers siècles. L’un des buts du pouvoir communiste était de faire reculer l’illettrisme, qui touchait 80% de la population au début des années 60. Les réflexions sur la simplification ont débuté bien avant la fondation de la République Populaire de Chine en 1949. Elles s’inscrivaient dans un vaste débat sur la langue chinoise qui était considérée par des intellectuels comme Lu Xun, comme un obstacle à la modernisation. Certains pensaient qu’il fallait aller jusqu’à l’élimination des caractères pour un alphabet, comme au Vietnam, mais c’est une autre histoire.
Articles sur les caractères classés par thème :
Sources :
简化字溯源,张书岩,王铁昆,李青梅,安宁,北京 1997
简化字源,李乐毅,北京 1999
15 septembre 2020