Quotidien, langue et grammaire en Chine

La langue chinoise transporte un Occidental dans un univers radicalement dépaysant. Les caractères prennent la place de l’alphabet et la grammaire ne s’embarrasse pas par exemple avec des temps ou mode complexes. Je ne sais pas si le langage détermine la pensée (hypothèse Sapir-Whorf) et les comportements. Néanmoins, il a une influence. 

Allemand et français

Avant de partir vers le chinois, nous pouvons nous arrêter devant un écart moins important : le français et l’allemand. L’allemand met souvent son verbe à la fin de la phrase (dans les temps composés) où à la fin de la subordonnée si bien qu’on doit attendre le verbe pour comprendre le message. Après le verbe, il n’y a plus rien à ajouter. Est-ce pour cela qu’on coupe moins la parole en Allemagne ? En revanche, en français, on pose d’abord l’essentiel et ensuite vient l’accessoire. Le français va vers les détails, alors que l’allemande prend le sens inverse. Mme de Staël en visite en Allemagne, regrettait ce gazouillis français quand tout le monde parle en même temps, elle avait bien compris les différences : « Par la nature même de sa construction grammaticale, le sens n’est ordinairement pas compris avant la fin de la phrase. Ainsi le plaisir d’interrompre, qui rend la discussion si animée en France, et force à dire si vite ce qu’il importe de faire entendre, ce plaisir ne peut exister en Allemagne, car les commencements de phrases ne signifient rien sans la fin, il faut laisser à chacun tout l’espace qu’il lui convient de prendre ; cela vaut mieux pour le fond des choses, c’est aussi plus civil, mais moins piquant. »  De l’Allemagne (1813) 
Le philosophe allemand Heinz Wismann explique dans « Penser entre les langues » l’influence diverse de l’allemand et du français sur la pensée et les comportements. Ne partons pas plus loin, revenons à la Chine.

Changement et souplesse

Quand on commence sa vie en Chine dans le monde du travail l’écart est encore plus grand, plusieurs phénomènes peuvent frapper : le changement, la souplesse et le manque de clarté dans une réponse.
J’avais assisté il y a quelques années à Wuhan à une formation où l’intervenant faisait réfléchir une cinquantaine de cadres sur les changements de décision au sein de la direction : « Vous avez un gros problème avec un client, vous allez voir votre patron, lui proposez plusieurs solutions, il choisit la première. Vous êtes content c’est celle que le client acceptera. Sitôt sorti du bureau, vous appelez le client et lui faites part de la bonne nouvelle. Vous raccrochez, vous montez dans votre voiture et votre directeur vous appelle pour vous dire qu’après réflexion, il ne vaut mieux pas faire cette proposition. Aïe ! Vous avez déjà annoncé la nouvelle. Comment faire dans l’avenir pour que pareille mésaventure ne se renouvelle pas ? » Les réponses fusèrent, celle-ci l’emporta : « Apprenez à gérer le boss. De nombreux patrons d’entreprises sont ainsi, rien n’est fixé. Une décision n’est pas un arrêté, c’est un constat, qui reste ouvert ! ».

Grammaire ou habitudes ?

Ces constations me rappelaient les conversations avec mes professeurs de chinois des premières années sur la grammaire. La grammaire chinoise est simple, même l’un allait jusqu’au blasphème : « Il n’y a pas de grammaire chinoise, il y a juste des habitudes ! ».
On ne s’embarrasse pas de temps, passé composé, futur, imparfait, de modes indicatif, subjonctif, conditionnel. En français, on dira « Demain, j’irai à la piscine » alors qu’en chinois, comme la conjugaison et les temps n’existent pas, ce sera « Demain je aller à la piscine, 明天我去游泳池 ». Le contexte donne le sens ; on pourra toujours ajouter un mot pour exprimer le futur, mais ce n’est pas complètement indispensable. Avec demain, pourquoi s’encombrer d’un temps futur, demain est le futur ! Il n’est pas non plus besoin de mettre un article à accorder selon genre du nom ( à la piscine, au cinéma, à l’aéroport), le genre n’existe pas. 

Besoin de grammaire ?

D’ailleurs, le besoin de grammaire n’a pas existé durant longtemps. Seulement à partir du XIXè siècle, les Chinois au contact des linguistes étrangers ont rédigé une grammaire chinoise en 1889. Joël Belassen par mail , me précisait : “Les premières grammaires ont été rédigées bien avant, mais par les Jésuites. La première date de 1652, rédigée par M. Martini. La première grammaire assez raisonnée et “scientifique” est celle d’un Jésuite français un peu plus tard… côté chinois, avant, juste les notions de “mots vides” et “mots pleins”. 
Panini avait composé la première grammaire de sanskrit au Ve siècle Av. J.-C.; il faut dire que le sanskrit a une grammaire très complexe (j’ai souffert avec Panini) !

Grammaire chinoise


Changement, souplesse et langue chinoise

Les règles chinoises n’enserrent pas le locuteur dans un cadre strict où il doit faire des accords et répondre à des règles plus ou moins sophistiquées de concordance des temps ou de d’accords du participe passé. La souplesse de la langue chinoise laisse de la latitude.  Elle donne une certaine liberté et ne fait pas obstacle au mouvement au sein de la phrase. 
C’est par ces mots que ma première enseignante reliait changement, souplesse et langue chinoise.

Oui ou non ?

On peut aussi relier le manque de clarté et même l’implicite dans le quotidien (voir l’article ici) avec la langue qui ne comporte pas véritables oui ou non. Bien entendu, on peut remplacer le oui et le non par une réponse qui signifiera oui ou non, mais est-ce bien utile ? Mon premier associé chinois m’expliquait après une réunion peu claire avec un client : « Tu sais Yes et No n’existent pas en chinois, ça ne sert à rien, car quand un Chinois dit oui, c’est peut-être oui, c’est peut-être non, ou rien du tout, il ne sait pas exactement ce qu’il veut. »

Il est difficile d’affirmer à quel point la langue chinoise influence la pensée, la psychologie et les comportements. Ma pratique du pays me donne souvent l’impression de lire la grammaire dans le quotidien. Évidemment, j’ai abordé qu’un aspect du sujet, il mérite de multiples développements, les caractères et l’imaginaire, l’inconscient, le mondes des signes, le yin yang. Mais ce sont d’autres histoires… à raconter bientôt.

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2 juillet 2020

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